mardi 24 décembre 2013

Courants de pensée et modes de vie émergents... (3) De la confrontation à la satisfaction





















Tensions démocratiques.
Crises économiques.
Périls écologiques.
Autant de défaillances 
face auxquelles les réactions 
Oui et non.
Car certaines formes 
de contestation 
pointent, 
malgré tout, 
le bout du nez.
Qu'il s'agisse 
d'initiatives locales.
Ou de mouvements 
de lutte 
contre l'austérité.


«La littérature sur les nouveaux mouvements sociaux a souvent mal vieilli, écrit Erik Neveu. 
En partie parce que prisonnière du moment de son élaboration.»
Faut-il donc suivre ceux qui, parmi les commentateurs, se risquent à parler de... nouveaux (!) «nouveaux mouvements sociaux»?
Non.
Car, comme l'écrit le sociologue français, «La mise au carré de la nouveauté risque d'occulter de fortes continuités avec la vague des mouvements des années 1970» (1)
Nous préférons donc parler de «courants de pensée et modes de vie émergents» (C.P.M.V.E.).
Soit, sans doute, l'ensemble de ceux que certains dénomment depuis peu «convivialistes».
Et qui sont des «créa... cteurs de reliance émancipée».
Ou, si l'on préfère, des créateurs de changement culturel (2).
C'est-à-dire ces personnes qui choisissent de se réunir autour d’un projet de transformation renvoyant «à la quête et à la dation de sens» (3).
Quelles que soient les caractéristiques et la formalisation des groupes qui portent ce projet.

Résister pour mieux créer

«Courants de pensée et modes de vie émergents» donc. 
Dont la marque de fabrique renvoie à un processus bien spécifique de «résistance - création» (4)... 
. Résistance?
Oui.
Qui porte fondamentalement sur un seul et unique adversaire: le néolibéralisme. 
On assiste à l’éclosion, sous de multiples formes, d’un vaste élan de refus à ce paradigme économique trop souvent accepté, explicitement ou de facto, comme horizon indépassable. (4) 
. Création?
Tout autant.
Car ce tourbillon ne s'apparente pas seulement à un mouvement contre… 
Moins militant qu'engagé, il se caractériserait même par une propension manifeste à ne se positionner ni contre d’autres idées ni contre le pouvoir politique.
Tel est du moins l'avis de la philologue belge Majo Hansotte.
Qui évoque plutôt un mouvement pour... 
Pour des lieux de substitution.
Pour des modes de vie alternatifs. (4) 
Pour, ajouterons-nous, ce que nous avons souvent appréhendé dans ces colonnes comme un au-delà de l'individualisme et du matérialisme. (5) 
«Les nouvelles formes d’engagement politique développent, dans des pratiques multiples en situation, des lieux (maisons, ateliers, universités populaires, occupations de terre, tentes, …) et des modes de vie (manière de vivre ensemble, organisations sociales, pratiques culturelles, …) qui concrètement dépassent en acte l’individualisme imposé par le système capitaliste…» (6) 
Explique notre spécialiste de l'«intelligence citoyenne». 
Qui précise que si lutte il y a, c'est «ici et maintenant pour les sans-papiers, les sans-logis, les chômeurs…: un travail au quotidien pour refuser la marchandisation du monde.» (6)

Penser globalement si possible, agir localement en tout cas: 
de l'alter-mondialisme à l'alter-localisme

Un au-delà de l'individualisme et du matérialisme, donc.
Qui n'est plus l'Au-delà transcendantal de la religion.
Mais qui, pense-t-on, ne se reconnaît pas pour autant dans un au-delà comme celui du marxisme, qui reste dogmatique et révélé. 
C'est que l'au-delà des mouvements émergents se voudrait à la fois enraciné dans le concret, ancré dans le présent et prolongé dans l'action....
. Enraciné dans le concret, il chercherait à créer «les conditions nécessaires aux changements, depuis le seul endroit où nous sommes puissants, à savoir dans chaque situation que nous habitons.» (7) 
. Ancré dans le présent, il ferait «disparaître le futur et son rôle moteur prophétique.» (4) 
. Prolongé dans l'action, il se refuserait à mettre «le pouvoir des Etats au centre de tout, sans pour autant le nier.» (4)

Réalisme, le retour

Le concret, le présent, l'action ici et maintenant...
Tels sont les symptômes d'un grand retour du réalisme.
Les signes que l'utopie fait dorénavant profil bas.
Les indices que celle-ci s'incline désormais devant les incontournables exigences du pragmatisme.
Révélatrice à cet égard, l'élévation au rang de quasi-consensus de la complémentarité entre politique et gestion: autant la gestion ne peut toujours pas se permettre de se substituer à la politique sous peine de tomber dans un matérialisme vulgaire, autant la politique ne peut plus, désormais, se risquer à supplanter la gestion ou à la nier sans tomber dans un idéalisme élémentaire et impuissant. 
«Il ne s’agit donc pas d’opposer gestion et politique, mais d’admettre que les deux doivent cohabiter sous peine que la disparition de l’une ou de l’autre provoque un véritable désastre.» (6)

La prise de pouvoir, c'est dépassé !

Finis, donc, les espoirs de Grand Soir.
Terminée, aussi, la politique vue comme prise de pouvoir, qu'elle soit économico-matérialiste (7) ou politico-idéaliste.
Telle est en tout cas la thèse de Hansotte.
Dont nous verrons ultérieurement dans quelle mesure elle nous semble devoir être affinée et complétée pour épouser parfaitement la réalité des courants de pensée et modes de vie émergents... (8)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Neveu Erik, Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, Paris, 2011, p.69. 
(2) A ne pas confondre avec les «créatifs culturels» qui ne représentent que l'une des nombreuses modalités de cette mouvance, beaucoup plus étendue,
(3) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmatan, Paris, 2008.
(4) Bensayag M. et Sztulwarck D., Du contre-pouvoir, La Découverte et Syros, 2002.
(5) Cfr., notamment, le message Appel à projet relationnel.
(6) Hansotte Majo, Par où passe le devenir? Mouvements émergents et nouvelles modalités de l'engagement politique, Etopia, 2007, p.2.
(7) «Deux éléments contemporains engendrent le reflux de la politique : le monde, la vie, nos vies sont progressivement dominés par la virtualité-spectacle et les préoccupations gestionnaires. Ces deux dimensions tendent à saturer notre réalité. Le monde devenu spectacle et le monde devenu marchandise.» Hansotte Majo, idem, p. 4.
(8) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents.