Edgar Morin
et Michel Maffesoli.
Deux approches
différentes
de l'idée
de reliance.
Provocation
en «duel»?
Non !
Simple
vision
«duelle»
des enjeux,
assure
ce parrain
de la notion
qu'est
Marcel
Bolle de Bal.
Qui distingue
«éthique
de reliance» et
«éthique
de la reliance»...
Marcel Bolle de Bal (1)
En 1985 sortait de presse le premier ouvrage
concernant le concept de reliance (2).
Auparavant, cette notion avait fait l’objet, de 1975 à
1981, d’une vaste étude pluridisciplinaire sur les aspirations de la population
belge, notamment en matière de reliance et de lien social (3).
Quelques années plus tard, en 1996, cette même notion
a constitué le thème central d’un livre collectif réunissant les contributions
de quarante-cinq chercheurs de différentes nations, experts reconnus dans
quinze disciplines scientifiques, relevant des sciences dites humaines pour la
plupart, des sciences dites exactes pour quelques-uns (4).
Ce concept a été rapidement adopté au sein de
multiples associations ainsi que par des sociologues africains enthousiastes
qui y ont vu une clé pour rendre compte des avatars subis par leurs cultures
traditionnelles face à l’intrusion de la modernité occidentale, système
socio-scientifique à base de division et de déliance (c’est-à-dire de
rupture de liens humains et sociaux fondamentaux).
Malgré cela (ou à cause de cela), il a éprouvé –et
éprouve encore– d’indéniables difficultés pour se faire une place au soleil de
la sociologie académique en nos contrées dites développées.
Francs-tireurs
Sans doute le caractère «duel» -à la fois psychologique et sociologique, donc essentiellement psycho-sociologique (5)– de cette notion nourrit-il la réticence des sociologues purs et durs, formatés à certains types de raisonnements, méthodes et analyses?
Je laisserai aux futurs historiens de nos disciplines
le soin de déterminer les raisons des réticences de certains de mes collègues
sociologues.
Il n’empêche.
Deux sociologues renommés –Edgar Morin et Michel
Maffesoli– ont fait exception, ont saisi toute la valeur heuristique de
cette notion, y ont eu régulièrement recours et s’en sont fait avec
constance et autorité les avocats chaleureux, … ceci sans s’en attribuer
indûment la paternité (honnêteté intellectuelle qui mérite d’être signalée
…).
Deux exceptions qui confirment la règle.
Morin et Maffesoli, quel que soit leur incontestable
rayonnement, ne sont pas considérés comme faisant partie du «petit monde» de la
sociologie officielle.
Deux francs-tireurs aux marges de celui-ci.
Le fait que leurs interprétations, analyses et
descriptions du monde contemporain comporteraient des dimensions proches de la
psycho-sociologie ne serait-il pas quelque peu dérangeant pour les forteresses
disciplinaires repliées sur elles-mêmes, en ces temps de disette financière?
Leur vocation à relier des savoirs trop souvent
séparés (sociologie, psychologie, philosophie…) ne constituerait-il pas un
crime de lèse-majesté et ne justifierait-il pas leur relatif ostracisme?
Toujours est-il que ces auteurs
prolixes viennent tous deux –convergence fortuite… mais peut-être pas tant
qu’il n’y paraît- de consacrer un chapitre de l’un de leurs derniers ouvrages
aux rapports entre l’éthique et la reliance.
Edgar Morin, dans le sixième et ultime tome de La Méthode, son
œuvre maîtresse, intitule un de ses chapitres Ethique de reliance (6).
Michel Maffesoli fait de même dans son livre Le
réenchantement du monde, mais en analysant, lui, l’Ethique de
la reliance (7).
Ethique de reliance, éthique de la reliance:
deux expressions proches, point toujours aisées à distinguer, et pourtant
différentes en leur essence.
Notions duelles, qui sous-tendent la vision «duelle» (8) de nos deux
éminents auteurs: elles sont inséparables, distinctes et complémentaires,
forment une paire philosophique, un tout, une entité en deux parties.
Il se fait que, personnellement, j’avais naguère tenté
de cerner cette nature duelle des rapports entre éthique et reliance, les
contours spécifiques de l’une et l’autre expression, en conclusion de l’ouvrage
collectif évoqué il y a quelques instants (9).
Je ne sais si nos deux sociologues ont perçu ou eu
conscience que ces deux expressions n’étaient pas équivalentes.
Ils ne le précisent pas, en tout cas.
Point de «duel» entre eux … et pourtant leur vision des enjeux est «duelle», complémentaire.
Point de «duel» entre eux … et pourtant leur vision des enjeux est «duelle», complémentaire.
Car, à travers la différence de leurs points de vue,
leurs analyses sont révélatrices de deux approches personnelles, confortant la
nécessité d’identifier la spécificité de chacune des expressions en
cause.
(A suivre)
Marcel Bolle De Bal
(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
. Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
. Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2) Marcel Bolle De Bal, La Tentation
communautaire. Les paradoxes de la reliance et de la contre-culture, Bruxelles,
Editions de l’Université de Bruxelles, 1985.
(3) Pour une étude détaillée sur la naissance, le développement et
le contenu de la notion de reliance, ainsi que sur les enjeux scientifiques et
politiques qu’elle porte en elle, voir Marcel Bolle De Bal, « Reliance,
déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques », Sociétés,
n° 80, 2003, pp. 99-131.
(4) Marcel Bolle De Bal (ed.), Voyages au cœur des sciences
humaines. De la reliance, Paris, l’Harmattan, 2 tomes, 1996.
(5) Ce que notre maître ès-psychosociologie, Jean Maisonneuve,
écrit à propos du « groupe de référence » peut s’appliquer,
mutatis mutandis, au concept de « reliance :; « il
s agit d’un concept charnière indispensable en psychosociologie, il
permet d relier les situations collectives où l’individu est sans cesse immergé
(au sein de tel groupe, auprès de tel compagnon) et les processus
psychologiques qui confèrent leur sens à ces situations en fonction d’une
dynamique personnelle ». Jean Maisonneuve, Introduction à la
psychosociologie, Paris, PUF, 1973, p. 155.
(7) Michel Maffesoli, Le Réenchantement du monde. Une éthique
pour notre temps, Paris, La
Table Ronde, 2007, pp. 109-130.
(8) Entendons-nous bien : si j’utilise ici le mot
« duel », ce n’est pas dans son sens courant de joute entre deux
orateurs ou de combat entre deux personnes, mais bien dans son sens grammatical
et numérique : je fais ici référence au “duel”, nombre intermédiaire
entre le singulier et le pluriel, tel qu’il existe dans de nombreuses langues
(le grec, le slovène, l’hébreu, etc. mais pas le français). Ce nombre désigne
ce qui va par deux et forme néanmoins un ensemble, deux qui forment un tout,
une entité en deux parties : les deux yeux, les deux mains, le yin et le
yang, le bonheur et le malheur, la vie et la mort, l’ombre et la lumière,
l’ignorance et la connaissance, etc.
(9) Marcel Bolle De Bal, « Ethique de reliance et éthique de
la reliance », in Marcel Bolle De Bal (ed.), op.cit., tome 2, pp.
307-318.
(10)
Le contenu de ce message nous a
été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Les titre, chapeau et intertitre sont de la rédaction.
(6) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).
Mesdames, Messieurs,
RépondreSupprimerLe Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien (CeaQ) est heureux de vous annoncer la parution du livre de Philippe Joron La Fête à pleins bords. Bayonne: fêtes de rien, soif d'absolu (CNRS Éditions) avec préface de Michel Maffesoli.
Très cordialement
Le CeaQ
Le CEAQ (Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien) est un laboratoire de recherche à vocation internationale qui s'intéresse principalement aux nouvelles formes de socialités et à l'imaginaire sous ses formes multiples.
Centre d'Etude sur l'Actuel et le Quotidien Bâtiment Jacob
Bureau 527bis 45, rue des Saint Pères
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