L’éthique de la reliance
de Michel Maffesoli?
Une éthique
un lien solide
entre les individus.
Qui favorise
Qui favorise
l’intensité
des
relations.
Et qui valorise
une communauté
émotionnelle
au détriment
d'une société
beaucoup plus
rationnelle.
Marcel Bolle de Bal (1)
Entre Edgar Morin et Michel Maffesoli, le contraste est saisissant.
Et ce tant sur la forme que sur le fond.
Si Morin recourt fréquemment à l’usage du terme «reliance» (plus de soixante fois, d’après une estimation grossière), Maffesoli, lui, est à cet égard plus parcimonieux.
Paradoxal, même: dans le chapitre intitulé «Ethique de la reliance» de son «Réenchantement du monde. Une éthique pour notre temps», il réussit la gageure de parler de reliance sans jamais employer le mot!
Entre Edgar Morin et Michel Maffesoli, le contraste est saisissant.
Et ce tant sur la forme que sur le fond.
Si Morin recourt fréquemment à l’usage du terme «reliance» (plus de soixante fois, d’après une estimation grossière), Maffesoli, lui, est à cet égard plus parcimonieux.
Paradoxal, même: dans le chapitre intitulé «Ethique de la reliance» de son «Réenchantement du monde. Une éthique pour notre temps», il réussit la gageure de parler de reliance sans jamais employer le mot!
Il faut savoir émotion garder
De quoi traite-t-il dans ce chapitre?
De «participation», de l’«ombre de Dionysos», de «deep ecology», d’«enracinement dynamique»…
Le tout dans la perspective d’une éthique où l’affect a sa part, qui tisse un lien solide entre les individus, favorise l’intensité des relations, valorise la communauté émotionnelle au détriment de la société beaucoup plus rationnelle, encourage le sentiment d’appartenance via les mythes, contes et petites histoires comme autant de vecteurs communiels (2).
Ou encore revivifie la mémoire d’un pré-subjectif, manifeste le triomphe d’une «religiosité» plus vivace que jamais, génère la «communion des saints», cette «pulsion animale» justifiant le besoin inconscient d’exprimer et de vivre la nécessaire «sortie de soi» (3).
De «participation», de l’«ombre de Dionysos», de «deep ecology», d’«enracinement dynamique»…
Le tout dans la perspective d’une éthique où l’affect a sa part, qui tisse un lien solide entre les individus, favorise l’intensité des relations, valorise la communauté émotionnelle au détriment de la société beaucoup plus rationnelle, encourage le sentiment d’appartenance via les mythes, contes et petites histoires comme autant de vecteurs communiels (2).
Ou encore revivifie la mémoire d’un pré-subjectif, manifeste le triomphe d’une «religiosité» plus vivace que jamais, génère la «communion des saints», cette «pulsion animale» justifiant le besoin inconscient d’exprimer et de vivre la nécessaire «sortie de soi» (3).
Attention! Danger...
Jusqu’ici, Michel Maffesoli paraît rejoindre Edgar Morin dans sa description de la reliance communautaire.
Toutefois, il commence à s’en «délier» lorsqu’il évoque le caractère «compensatoire» de ce type de reliance, l’«anomie» qui en est la source, la paranoïa de la modernité, jusques et y compris la reliance à travers les sectes et diverses émissions de télé-réalité.
Ou encore: le libre-cours d’un inconscient collectif préparant l’adhésion à des produits marchands ou culturels, aux pressions de la mode, la fondation de nouveaux liens sociaux formatés par l’«obscure clarté» des émotions et des passions (4).
Certes, il y a de l’éthiquement positif dans de tels phénomènes, de la densité vitale, une ambiance à certains égards «spirituelle», une série de dilatations effervescentes, la force de l’esthésie (le «sentir en commun», du grec «aesthesis»), antidote de l’anesthésie sociale.
Là émerge, chez Michel Maffesoli, l’amorce d’une réflexion critique sur certains processus pervers de «reliance» à l’œuvre au sein de la «Gesellshaft»…, bref d’une indispensable interrogation éthique sur les enjeux posés par ces types de reliance, ce que résume bien l’expression «éthique de la reliance», et des débats qu’elle ne peut manquer de susciter.
Jusqu’ici, Michel Maffesoli paraît rejoindre Edgar Morin dans sa description de la reliance communautaire.
Toutefois, il commence à s’en «délier» lorsqu’il évoque le caractère «compensatoire» de ce type de reliance, l’«anomie» qui en est la source, la paranoïa de la modernité, jusques et y compris la reliance à travers les sectes et diverses émissions de télé-réalité.
Ou encore: le libre-cours d’un inconscient collectif préparant l’adhésion à des produits marchands ou culturels, aux pressions de la mode, la fondation de nouveaux liens sociaux formatés par l’«obscure clarté» des émotions et des passions (4).
Certes, il y a de l’éthiquement positif dans de tels phénomènes, de la densité vitale, une ambiance à certains égards «spirituelle», une série de dilatations effervescentes, la force de l’esthésie (le «sentir en commun», du grec «aesthesis»), antidote de l’anesthésie sociale.
Là émerge, chez Michel Maffesoli, l’amorce d’une réflexion critique sur certains processus pervers de «reliance» à l’œuvre au sein de la «Gesellshaft»…, bref d’une indispensable interrogation éthique sur les enjeux posés par ces types de reliance, ce que résume bien l’expression «éthique de la reliance», et des débats qu’elle ne peut manquer de susciter.
De l'individu à la personne...
Dans cette perspective mérite d’être questionné le
glissement de l’individu, indivis univoque, à la personne («persona») affublée de ses masques divers, la porosité de l’identité et l’émergence des
identifications multiples (5).
Ethiquement, le fait d’être solitaire ne signifie nullement être isolé (6), ni non solidaire: la solitude bien intégrée peut favoriser l’accueil, le rassemblement, la réunion de ce qui est séparé.
Là se nichent les enjeux concrets de l’«éthique de la reliance»: le retour à des valeurs archaïques refoulées, la re-connaissance des atouts de l’inconscient collectif, l’importance de l’imaginaire.
Volet positif: une éthique de l’instant.
Volet problématique: quelle place accorder aux leçons du passé, aux défis de l’avenir...?
Ethiquement, le fait d’être solitaire ne signifie nullement être isolé (6), ni non solidaire: la solitude bien intégrée peut favoriser l’accueil, le rassemblement, la réunion de ce qui est séparé.
Là se nichent les enjeux concrets de l’«éthique de la reliance»: le retour à des valeurs archaïques refoulées, la re-connaissance des atouts de l’inconscient collectif, l’importance de l’imaginaire.
Volet positif: une éthique de l’instant.
Volet problématique: quelle place accorder aux leçons du passé, aux défis de l’avenir...?
Perpétuelle interaction
En d’autres pages, Michel Maffesoli évoque cette
notion de «reliance», curieusement absente du chapitre censé lui
être consacré.
Il lui arrive même d’en préciser le contenu, malgré son aversion maintes fois exprimée pour les définitions par lui considérées comme réductrices:
«… la perpétuelle interaction qui s’établit entre le matériel, le spirituel, l’animal, l’organique, le naturel et le culturel: voilà ce qu’est la reliance.» (7)
Il lui arrive même d’en préciser le contenu, malgré son aversion maintes fois exprimée pour les définitions par lui considérées comme réductrices:
«… la perpétuelle interaction qui s’établit entre le matériel, le spirituel, l’animal, l’organique, le naturel et le culturel: voilà ce qu’est la reliance.» (7)
Pluralité des lieux et des liens
Ethiquement,
«On ne peut continuellement comprimer les passions.
«On ne peut continuellement comprimer les passions.
Dans tout ce qui se passe en nos temps troublés, la
morale universelle éprouve de grandes difficultés à maintenir son audience
traditionnelle.
Mais Maffesoli est tenté d’y percevoir une nouvelle «déontologie» (éthique?):
«Particulariste.
Localiste.
Déontologie parfois immorale ne se reconnaissant plus dans l’unidimensionnalité du sens de l’Histoire, mais qui, plutôt, privilégie le pluralisme de la reliance.» (9)
Mais Maffesoli est tenté d’y percevoir une nouvelle «déontologie» (éthique?):
«Particulariste.
Localiste.
Déontologie parfois immorale ne se reconnaissant plus dans l’unidimensionnalité du sens de l’Histoire, mais qui, plutôt, privilégie le pluralisme de la reliance.» (9)
Notons ici que par «pluralisme de la
reliance», Michel Maffesoli entend cette notion dans un double sens:
le sens français (on est relié aux autres, à la nature
environnante) et le sens anglais (on fait confiance – to rely on -
aux autres de la tribu et à la nature dont on fait partie).
Pour lui, il existe une intime et secrète liaison entre la pluralité des lieux et celle des liens.
Ce qui l’amène à préciser ainsi sa pensée :
Pour lui, il existe une intime et secrète liaison entre la pluralité des lieux et celle des liens.
Ce qui l’amène à préciser ainsi sa pensée :
«A l’encontre d’une morale une et universelle, la
déontologie-éthique est complexe, concrète, en ce qu’elle s’enracine dans des manières d’être et
de penser dont l’élément essentiel est l’hétérogénéité.» (10)
Ce qui semble donc se vivre aujourd’hui, c’est un
renouveau de ce polythéisme des valeurs que la tradition judéo-chrétienne, moderne,
avait cru définitivement dépasser.
Triomphe en notre monde –occidental tout au moins– la réaffirmation du complexe, l’hétérogénéité de tous les aspects de la vie:
Triomphe en notre monde –occidental tout au moins– la réaffirmation du complexe, l’hétérogénéité de tous les aspects de la vie:
«Pluralisation de la personne, fragmentations tribales, polyculturalisme galopant… il y a du polythéime, voire du panthéisme dans l’air.» (11)
Fantasme de l'Un
Certes, le grand fantasme de l’Un constitue le
substrat culturel de la modernité, que l’on retrouve à la base des religions
monothéistes. (12)
Mais «l’éthique
de la reliance» s’inscrit paradoxalement en contre-pied de cette
vision théologique: primum relationis, la mise en relation,
dans le respect des identités multiples, «c’est bien cela la reliance.» (13).
Propos que ne reniera certainement aucun
psychosociologue averti…
Ethique et reliance:
des relations «duelles», complexes mais pas compliquées
des relations «duelles», complexes mais pas compliquées
A la lecture de ce qui précède, nous le
percevons aisément: les points de vue de nos deux éminents auteurs,
malgré maintes convergences dans leurs analyses, ne se confondent pas.
Certes,
tous deux mettent l’accent sur la reliance communautaire, ainsi que sur la
reconnaissance des liens épistémologiques et politiques entre reliance et
complexité.
Tous deux, également, n’accordent que relativement peu d’intérêt à
la dimension psychologique –après tout ils se veulent sociologues plus
que psychologues …- de la reliance (reliance à soi, travail sur
l’identité).
Partant de prémisses différentes, ils nous proposent finalement
des visions complémentaires: Edgar Morin conçoit la reliance comme une
éthique, un objectif, une finalité, à la limite un
«impératif»; Michel Maffesoli, lui, y voit plutôt
une réalité, dont il convient de cerner les enjeux, positifs et/ou négatifs.
«Ethique de reliance» dans le premier cas, «éthique de la reliance» dans le second.
«Ethique de reliance» dans le premier cas, «éthique de la reliance» dans le second.
Complexité, reliance et éthique
Pour évoquer les fondements éthiques du recours
à cette idée de reliance, il me paraît opportun, à ce stade de nos réflexions
et pour la clarté du débat, de reprendre ici une distinction que j’ai exposée
à diverses reprises. (14)
Celle
entre les deux notions illustrées par les écrits qui viennent d’être
évoqués: d’une part, l’éthique de reliance,
c’est-à-dire une éthique qui place la reliance au centre de son système de
valeurs; d’autre part, l’éthique de la reliance,
c’est-à-dire tous les problèmes éthiques posés par les théories, pratiques,
politiques et actions de reliance (… et de déliance).
(A suivre)
Marcel Bolle De Bal
(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
. Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
. Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2) Michel Maffesoli, Michel Maffesoli, Le Réenchantement du monde. Une éthique
pour notre temps, Paris, La
Table Ronde, 2007, pp.114-115.
(14) Notamment dans la conclusion déjà citée de l’ouvrage collectif
sur la reliance, voit Marcel Bolle De Bal, loc.cit. et dans Marcel
Bolle De Bal, « Complexité, identité, fraternité, citoyenneté : le
quadrige de la reliance », Cahiers de l’imaginaire ,
Monpellier, n°22, 2008.
(15) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Le chapeau et plusieurs des sous-titres sont de la rédaction.
. à la reliance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).
(15) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Le chapeau et plusieurs des sous-titres sont de la rédaction.
(16) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).
Merci. Je vais vous lire
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Michel Maffesoli
Institut universitaire de France
Professeur à la Sorbonne
Administrateur du CNRS