samedi 20 mars 2010

Créatifs culturels. La culture nouvelle est arrivée…


Ils sont apparus aux Etats-Unis.
Ils ont essaimé en Europe.
Ils s’organisent en Belgique.
Mais qui sont donc les Créatifs Culturels...?




Samedi 29 août, place des sciences, à Louvain-la-Neuve.
Ils sont venus. Ils sont là. Et en nombre. Plus de trois cents. Quatre cents sans doute. Davantage peut-être…
Qui ? Les «Créatifs Culturels». Moins souvent mais sans doute plus explicitement appelés «créateurs de culture»…
Peu importe. L’expression n’est qu’une traduction. Venue de l’anglais «Cultural Creatives»…


New american way of life

Car le concept de Créatifs Culturels est né aux Etat-Unis. D’une bonne poignée d’individus réunis autour des dénommés Paul Ray et Sherry Anderson. Pendant une quinzaine d’années, l’équipe dirigée par ce sociologue de l’université du Michigan et cette psychologue de l’université de Toronto a sondé plus de cent mille personnes.
Bilans : une étude, en 1999, sur les «acteurs de changement de société», puis un ouvrage (1), en 2000, dont il ressort que 24% des citoyens américains vivent en marge des deux systèmes de valeurs et de comportements les plus en vue…
. Celui des «Modernistes», tout d’abord. Soit 48 % de la population. Après avoir été considérés au XVIIIe siècle comme «excentrique inoffensif», ce courant a réussi, avec le temps, à rafler la mise, plaçant ainsi au centre du jeu ses références essentielles: l’individualisme, le capitalisme et le divertissement.
. Autre système: celui des «Traditionalistes». Soit 24 % de la population, issus des diverses réactions opposées, à partir du XIXe siècle, au Modernisme. Ici, le «bon vieux temps» sert d’étalon. Aaah ! Mémorable passé que celui où les patriarches guidaient encore la vie familiale… Aaah ! Faste période que celle où hommes et femmes s’en tenaient au comportement que leurs dictaient la tradition… Aaah ! Formidable époque où les comportements immoraux étaient combattus comme il se devait…

Les Créatifs Culturels, eux, refusent de choisir pour l’un ou l’autre de ces deux camps. Ils sont à l’origine d’un nouveau courant fondamental. Bien loin de se conformer aux valeurs modernistes ou traditionnelles, cette substantielle minorité est au contraire branchée sur l’éveil intérieur, la féminité, la solidarité et l’écologie.
Eveil intérieur donc, via le poids accordé à l’introspection, au développement personnel et aux nouvelles spiritualités.
Valeurs féminines aussi, via, pour faire simple, un rapport adouci aux relations et aux choses.
Solidarité encore, via, entre autres, une implication personnelle dans la société, qui se traduit par des engagements locaux et globaux, immédiats et à long terme.
Ecologie enfin, via, par exemple, l’alimentation bio ou les méthodes naturelles de santé.

Plus précisément, les Créatifs Culturels se répartissent en deux populations de plus ou moins 23 millions d’adultes chacune…
. Un noyau central dit «avancé»: celui des «Créatifs Culturels spiritualistes», préoccupés à la fois de justice sociale, d’engagement écologique et de développement «psycho-spirituel».
. Une périphérie qui n'inclut pas vraiment le paramètre spirituel dans son univers: celle des «Créatifs Culturels écologistes», qui auraient tendance à ne faire que lentement, avec beaucoup de prudence, le lien entre l’engagement social et la vie intérieure, ou entre l’écologie et la spiritualité.

Autres caractéristiques des nombreux membres de cette (double) famille socio-culturelle…
. Ils ne supportent plus d’être en contradiction avec eux-mêmes. D’où leur souci de faire ce qu’ils disent et de dire ce qu’ils font. Non, d’ailleurs, sans un certain succès, si l’on en croit Ray et Anderson.
. Ils font preuve d’une grande lucidité…
Lucidité, d’abord, par rapport aux médias qu’un relent d’idéologie moderniste contribuerait à rendre moins conscients de leurs pouvoir d’intoxication que de leur mission d’information.
Lucidité, ensuite, par rapport aux leurres de la société de consommation en général et de la publicité en particulier, qui auraient tendance à tout transformer en spectacle.
Lucidité, aussi, par rapport aux manipulations des grands groupes économiques, qui – au minimum- se dédouaneraient par diverses formes de parrainage de leurs responsabilités sociétales (comme pollueurs, comme destructeurs de la biodiversité, comme pourvoyeurs de cancer…).

Pour les animateurs de l’enquête, aucun doute: les Créatifs Culturels forment un nouveau courant fondamental de la société occidentale. Un courant dont, pourtant, la portée n’a été décelée ni par les médias ni par le monde politique ni par… les intéressés eux-mêmes. Ces derniers, en effet, ont tendance à sous-estimer très nettement leur importance. Au mieux, ils s’évaluent à 5 % de la population. Soit, donc, cinq fois moins que les chiffres issus de l'enquête et des sondages qui ont suivi.

Car autant les Créatifs Culturels représentaient tout au plus 4% de la population nord-américaine à la veille des années 1960, autant ils rassemblent 24% d’adultes à la charnière des XXe et XXIe siècles. Une progression spectaculaire. Et dont on pressent qu’elle se poursuivra. Non sans raisons...

A preuve: en 2008, ce pourcentage flirtera avec les 35% de la population mâture. Soit 80 millions de personnes. Excusez du peu…


French connection

Les travaux de Ray et Anderson ont été relayés un peu partout dans le monde, notamment en Europe où une dynamique s’est créée afin de pouvoir quantifier et qualifier le mouvement des Créatifs Culturels. Impliquant la France, la Hongrie, l'Allemagne, les Pays Bas, la Norvège, l'Italie, puis, trois ans plus tard, le Japon, une équipe internationale a même été constituée, à partir de 2002, afin de dupliquer l’étude initiale dans ces pays.

L’enquête française fait apparaître cinq courants socioculturels, respectivement qualifiés de
. «protectionnistes inquiets» (23%),
. «conservateurs modernes» (20%),
. «détachés sceptiques» (18%),
. «alter créatifs» (21%),
. «créatifs culturels» (17%).

Les deux dernières catégories se recoupent par bien des aspects:
. écologique d’abord (respect de l’environnement et intérêt pour les pratiques de santé naturelles),
. féminin ensuite (reconnaissance de l’importance de la place des femmes dans la société),
. «essentialiste» pour suivre (prise de distance par rapport au besoin de paraître et d’avoir),
. culturel enfin (ouverture culturelle).

Mais les Créatifs Culturels y ajoutent deux dimensions:
. l’intériorité (développement personnel / spirituel),
. l’implication sociétale.

L’introspection à laquelle s’adonnent les représentants de cette ultime famille ne peut donc en aucun cas se réduire à un repli sur le «moi, je». L’«Enquête nationale sur les créatifs culturels français» (2) est on ne peut plus explicite à cet égard, quand elle renseigne la montée de l’«individualisme consumériste» comme un phénomène présentant deux faces bien distinctes…
«D’un côté, on trouve certes ce qui est fréquemment dénoncé comme un repli égoïste de chacun sur la recherche de satisfaction personnelle immédiate au détriment de tout sentiment ou comportement de solidarité avec autrui et de tout intérêt pour le reste du monde et pour l’avenir de la planète, la «me now society». Mais l’autre face existe également: l’expression de la volonté de reconquête par chaque individu de son autonomie dans la construction de son identité afin de mieux maîtriser son rapport aux autres et au monde et ses choix de vie et de consommation. C’est ce second versant qui est à la source des évolutions socioculturelles dont participent les créatifs culturels.»(3)

«Il est néanmoins évident que les créatifs culturels ne forment pas un «groupe» cohérent isolé du reste de la société, explique par ailleurs l’enquête. A vrai dire, l’intérêt de ces recherches sur les créatifs culturels, beaucoup plus modestement mais beaucoup plus utilement, est double :
. permettre à tous ceux qui, isolément, prennent leur part à ces transformations en profondeur de ce qui fera la société de demain, de savoir qu’en fait, ils ne sont pas seuls, de se sentir confortés dans leur capacité d’être, à leur échelle, agents de changement social, selon cette logique, si spécifique à ce mouvement articulant transformation personnelle et transformation sociale;
. donner plus de visibilité à ces valeurs et pratiques sociales innovantes, permettre aux uns et aux autres qui y participent de se reconnaître, de se rencontrer et de nouer des alliances au gré de leurs désirs et de leurs besoins, de constituer des réseaux entrecroisés ouverts et fluides, bref d’innover ainsi dans le champ des pratiques organisationnelles et de l’action collective pour porter plus haut et plus loin leur énergie transformatrice.
»


La Belgique aussi…

Voilà pour la France, où une première rencontre nationale des Créatifs Culturels a eu lieu dans les Cévennes les 31 mai et 1er juin 2008.
Mais d’autres pays se sont inscrits dans une dynamique tout à fait similaire.
Parmi eux, la Belgique (francophone), donc, où la journée néo-louvaniste du 29 août a débouché sur la création d’un site internet et sur l’organisation d’une série d'activités qui, au-delà de leur diversité, ont en commun d'être beaucoup plus axées sur l'émotion, l'intuition et le ressenti que sur la raison.

Les Créatifs Culturels de Belgique (4) peuvent notamment compter sur l’appui d’un magazine «socialement engagé», Imagine, dont l’ambition affichée est de favoriser «l'épanouissement de réseaux de «créatifs culturels». Ces réseaux dans lesquels des citoyens porteurs de changement (un quart de la population déjà !) se reconnaissent, se nourrissent et se retrouvent. Pour donner vie à un autre projet de société.»

«Les créatifs culturels sont constamment à la recherche de sens dans l'information, poursuit le rédacteur en chef, André Ruwet. Ils aiment apprendre de manière intime et personnelle, ils recherchent un mode de connaissance engagé et engageant, taillé dans la matière riche, viscérale et sensuelle de la vie. Ils veulent avoir une vision en grand angle de la société, sont tout autant passionnés par le détail des histoires personnelles que par le sort de la planète entière. L'authenticité, c'est-à-dire la concordance entre ce qu'une personne dit et ce qu'elle fait, est très importante à leurs yeux. La plupart sont convaincus que, s'ils ne sont pas impliqués dans un projet, leurs convictions ne sont que des paroles en l'air.
60% d'entre eux sont des femmes, ce qui implique une certaine manière d'envisager les questions de compassion et d'entraide, l'organisation de la vie familiale, l'importance attachée au relationnel et à la responsabilité envers autrui. Avec l'émergence des «créatifs culturels», une certaine vision féminine du monde est en train de quitter la sphère privée pour se retrouver sur le devant de la scène publique.
Les «créatifs culturels» ont une conscience sociale très développée et sont optimistes, quoique mesurés, à propos de l'avenir. Ils refusent l'idéologie du «toujours plus», le cynisme dominant que l'on nous présente comme du réalisme.
»

Le mouvement, en tout cas, prend son essor en Belgique.

En Belgique aussi…


Christophe Engels


(1) Ray Paul H. et Anderson Sherry Ruth, The Cultural Creatives. Fifty Million Who Will Change the World, Harmony Books, New York, 2000.
Traduction française : L’émergence des créatifs culturels, Enquête sur les acteurs d’une changement de société, éditions Yves Michel, Gap, 2001.
(2) Michel Yves (sous la direction de...), Les Créatifs Culturels en France, éditions Yves Michel, Gap, 2007.
(3) L'enquête précise aussi que l'on peut aisément retrouver la marque de ce second versant «
dans les manifestations suivantes de ces nouvelles orientations culturelles…
. La valorisation croissante du «développement personnel» et l’intérêt pour toutes les démarches et tous les outils d’aide à l’auto-production de soi.
. Un recentrage de ses priorités sur l’être plutôt que sur le paraître ou l’avoir.
. Un recul, voire une méfiance et un rejet à l’égard de toute structure ou institution assignant de l’extérieur à l’individu son mode de pensée, de vie et de comportement social, et notamment les églises et les partis politiques.
. Plus particulièrement, la reconquête de son autonomie dans la gestion de sa santé, dans l’éducation de ses enfants et, plus généralement dans ses modes de vie et de consommation, notamment alimentaire.
. La recherche d’un rapport aux autres et d’une sociabilité fondés sur la reconnaissance mutuelle et la valorisation de la diversité des identités (notamment valorisation de la diversité hommes/femmes et de la place des femmes dans la société, mais également valorisation de la diversité des cultures et de l’apport des autres cultures dans la construction d’une société multiculturelle).
. La valorisation des solidarités de proximité, mais également à l’échelle de la planète, la lutte contre les inégalités et pour un meilleur partage des richesses.
. Le souci d’un vivre ensemble plus harmonieux, de la paix, et de l’avenir de la «maison commune», l’engagement écologique et pour le développement durable.
»
(4) Créatifs Culturels de Belgique: www.creatifsculturels.be et contact@creatifsculturels.be

3 commentaires:

  1. Article intéressant.
    Mouvement qui retient l'attention.
    Blog à suivre.
    Bravo pour cette initiative.
    Laetitia
    (Je n'arrive pas à rentrer ce message avec nom et URL)

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  2. Merci Christophe, pour ce très bon article qui résume bien la dynamique CC.
    Belle journée et à bientôt, au hasard des chemins...

    Vincent
    contact@creatifsculturels.be
    www.creatifsculturels.be

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  3. Contenu aussi génial qu'à poursuivre.
    Amitiés.
    Hugues RICHARD

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