vendredi 12 mars 2010

Deux visages pour un seul simplicitaire : moi, je et nous tous


La simplicité volontaire se veut éthique de vie. Elle n’entend donc pas se contenter de mener à l’épanouissement individuel. Le plaisir d’une vie simple ou l’authenticité d’une cohérence entre discours et comportements, d’accord! Mais pas question d’en rester à ce seul type de projet esthétisant qui tendrait à la reléguer au rang du développement personnel! En tant que simplicitaire, «je» me dois de poursuivre la quête d’une démarche globale. Qui s’appuie sur un mode d’existence tout en sobriété. Le seul, à vrai dire, qui me paraisse soutenable pour l’homme et la planète de demain.


Bref retour sur le Forum «Vers la simplicité» du 27 février dernier (1). L’intervention de Christian Arnsperger ne passe pas inaperçue. Il existerait deux types de simplicitaire, avance notamment l’économiste et philosophe de l’UCL : les moi,je et les nous tous. Et seuls les deuxièmes pourraient légitimement revendiquer un brevet d’authentification.
Fût-ce en d’autres termes, cette thèse était déjà défendue par Emeline De Bouver dans son ouvrage «Moins de biens, plus de liens» (2). Bienvenue à l’enrichissement intérieur! Mais uniquement comme point de départ. Oui à la recherche d’autonomie et d’authenticité, donc, si et seulement si elles contribuent à nous rapprocher de l’autre et de la nature!

Moi, je: l’autonomie par la richesse… intérieure

La simplicité volontaire m’invite à une existence à la fois «extérieurement plus simple et intérieurement plus riche» (3). Car la restriction de mes biens matériels n’est qu’un aspect du problème. Elle doit déboucher sur de nombreux autres changements: diminution de mes besoins en revenus, réduction de mon temps de travail et, de là, accroissement de ma disponibilité à ces facteurs de bien-être que sont, par exemples, la réflexion, les relations humaines ou la solidarité.
Loin de la ressentir comme une souffrance, je vis donc plutôt cette simplicité comme une délivrance. Car elle me permet de progresser sur le chemin de l’autonomie. Tout juste convient-il de ne pas oublier le conseil de Majid Rahnema: ne pas confondre la «pauvreté choisie» d’un «art de vivre dans la sobriété et la convivialité» avec la «misère» d’un état de dénuement qui, en s’imposant, se fait dégradant et injuste (4)

Moi, je encore: l’authenticité par le confort… non matériel

La simplicité ne suffit donc pas. Encore faut-il qu’elle se fasse volontaire. Qu’elle soit assumée. Et qu’elle m’oblige même à un effort.
Celui-là même qui entend prendre le pas sur le confort. Le confort matériel en tout cas. Car ce qui est recherché, c’est un autre type de confort. Un confort non matériel. Un confort qui, dans mon for intérieur, se construit sur le socle d’un refus et d’une triple exigence.
- Un refus, tout d’abord: celui du rythme effréné induit par la société.
- Une triple exigence aussi:
. celle, affective, des plaisirs simples et écologiques de la rencontre, de la relation avec mes proches, du lien avec la nature;
. celle, cognitive, d’une vie conforme à mes idées;
. celle, éthique, d’un recentrement sur ce qui donne sens à ma vie. (5)
«La simplicité volontaire s’occupe tout autant de repenser la vie matérielle traditionnelle des gens, leur sécurité, leurs revenus, que d’incarner de nouvelles valeurs moins matérialistes telles que l’écologie ou la solidarité», explique la susnommée De Bouver (6).
Impossible, par conséquent, de qualifier de simplicitaire le quidam qui se contenterait d’y aller de quelques timides fluctuations dans ses habitudes de consommation. La simplicité volontaire est une démarche qui ne se réduit pas au seul fait de réfréner mes compulsions d’achat. Elle suppose une conversion radicale de mes valeurs. Sous peine de faire de moi ce que Juliet Schor appelle un simple «downshifter» (7), un adepte du changement à la petite semaine.
Rappelons-le (8): la simplicité volontaire porte des valeurs qui sont fort proches de celles des créatifs culturels. Et qui peuvent donc être ramenées à quatre pôles: l’éveil intérieur, la féminité, la solidarité et l’écologie.
Comme simplicitaire, j’entends donc replacer au cœur de la société l’intériorité et la convivialité, de même que l’autre et la nature. Je veux revivifier les rapports humains et naturels pour en faire les moteurs de notre vie en commun. D’où la fin de non recevoir que j’oppose aux modèles de développement occidental et de croissance économique infinie.
Il ne saurait donc être question de badiner avec la simplicité volontaire. Ni d’y picorer ici et là l’un ou l’autre petit ingrédient isolé. La remise en cause préconisée n’a rien de périphérique ou de superficiel. Elle est, au contraire, globale et profonde.
«Quelques initiatives éparpillées ou la limitation de l’action aux domaines dans lesquels il est facile d’agir ne recouvre donc pas l’entièreté de la démarche de simplicité volontaire», insiste la jeune femme d’Ottignies (9).
Si j’évite d’acheter des bananes fabriquées dans de mauvaises conditions sans, dans le même temps, me soucier le moins du monde des t-shirts, j’ai tout faux.
Si j’oublie que social, économique et environnemental forment une unité indissociable, je suis busé.
Car la simplicité volontaire est un tout.
Par quoi ce mouvement semble moins individuel, social ou écologique que culturel. Tel est en tout cas l’avis de notre interlocutrice…
«Si, comme Thierry Verhelst, nous attribuons à la culture le rôle essentiel de la «quête et la dation de sens » (10), la simplicité volontaire me semble trouver clairement sa place dans le pôle culturel.» (11)

Théorie et pratique du nous tous

A l’instar du capitalisme, la simplicité volontaire valorise un sujet entrepreneur de lui-même, un individu qui gère l’évolution de sa «petite entreprise» personnelle.
Ce faisant, elle est parfois récupérée par le néo-libéralisme. Elle devient alors un prétexte rêvé pour mieux me replier sur moi-même.
Rien de tel, cependant, pour la mouture authentique de ce courant de pensée. Qui ne mange pas de ce pain là. Et qui ne se conçoit pas sans ouverture à l’autre.
Moi, simplicitaire pur jus, je cherche donc à me distinguer de l’homo oeconomicus. A rejeter le choix de la liberté absolue prônée par le mode de pensée capitaliste. A remplacer le lien de compétition par la relation de coopération.
Solidarité avec l’humanité, respect de la nature: pour vivre heureux, vivons reliés!
En théorie du moins.
Car en pratique, les choses ne sont pas toujours aussi claires. La simplicité volontaire se vit «à des niveaux très différents selon les individus, reconnaît notre guide. Parfois même, la dimension globale en semble absente. Peut-être cette absence trouve-t-elle sa source dans le transfert de la simplicité volontaire d’une personne à l’autre. En effet, comment communiquer par sa seule pratique la globalité de la démarche que vit l’individu? Est-il possible de convertir par le seul exemple? (…) Une solution se trouve peut-être dans les modèles de société proposés par les membres eux-mêmes: des collectivités plus petites où la présence d’autorités, même locales, permettrait de garder un système d’incitants (reconnaissance sociale) et de sanctions.» (12)
Car, quels que soient les obstacles à surmonter pour l’atteindre, l’objectif reste le même: rejoindre l’autre et la nature. Ceux d’aujourd’hui, bien sûr. Mais aussi ceux de demain.

Christophe Engels (d’après Emeline De Bouver)


(1) Voir l’article «Engagez-vous, qu’ils disaient…».
(2) De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleur Livres, Charleroi, 2008.
(3) Elgine Duane, Voluntary Simplicity. Toward a way of life that is outwardly simple, inwardly rich, Quill, New York, 1981.
(4) Rahnema Majid, Quand la misère chasse la pauvreté, Fayard/Actes Sud, Paris, 2002, p.1, p.117.
(5) cfr. De Bouver Emeline, ibidem, p.18.
(6) De Bouver Emeline, ibidem, p.31.
(7) Schor Juliet, The overworked American. The unexpected decline of leisure, Basic Books, New York, 1991, p.115.
(8) Voir le précédent article : «Moi, simplicitaire…».
(9) De Bouver Emeline, ibidem, p.108.
(10) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmatan, Paris, 2008, p.135.
(11) De Bouver Emeline, ibidem, p.32.
(12) De Bouver Emeline, ibidem, p.111-112.

1 commentaire:

  1. Intéressant mais on aimerait en avoir plus sur les créatifs culturels.

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