vendredi 20 décembre 2013

Courants de pensée et modes de vie émergents... (2) Le mouvement social nouveau est arrivé



Exit les rassemblement ouvrier,
front populaire
et autre syndicat paysan?
A la fin des années 1960 en tout cas,
place aux nouveaux mouvements sociaux 
et à leurs espaces d'autonomie!
Qui prennent leurs distances par rapport au passé.
Et qui se démarquent dans le présent.
En attendant mieux... 



Les courants de pensée et modes de vie émergents (C.P.M.V.E.) mobilisent et revendiquent.
Ils sont des vecteurs d'actions collectives mis au service d'une cause. 
Ils peuvent donc être considérés comme des mouvements sociaux. 
Mais pas n'importe lesquels.
. D'abord, ils prennent leurs distances par rapport au passé.
Au tri sélectif de l'Histoire, ces illustres ancêtres des XIXe et XXe siècles qui fonctionnaient comme si leur orientation relevait de dogmes révélés. (2) 
. Ensuite, ils se démarquent dans le présent.
Ils sont de ceux qui, loin de se contenter de résister au changement, le convoquent.
Au rebut de la paresse intellectuelle, le rangement forcé de l'événement dans les tiroirs familiers du moment. 

L'ancien et le nouveau 

Rien de très nouveau sous le soleil? 
Dès la fin des années 1960 en tout cas, les «nouveaux mouvements sociaux» (N.M.S.) (1) avaient pris un certain recul par rapport à ces mouvements anciens qu'étaient, par exemples, le syndicalisme et le front ouvrier. 
Ils s'étaient en effet refusés explicitement aux phénomènes de centralisation et de hiérarchisation adoptés par ces syndicats ou ces partis dont la légitimité avait déjà commencé à s'affaiblir.
Une valorisation de l'autonomie qui avait contribué à réorienter drastiquement les stratégies d'action.
Tel est à tout le moins l'avis du sociologue français Erik Neveu.
Pour qui il s'agissait moins, désormais, «de défier l'Etat ou de s'en emparer que de construire contre lui des espaces d'autonomie.» (3) 
Exit, donc, le modèle ouvrier!
«Les nouvelles mobilisations ne s'autodéfinissaient plus comme expression de classes, de catégories socioprofessionnelles, estime le professeur de Sciences Po Rennes.  
Se définir comme musulman, hispanophone, homosexuel ou antillais appartenir aux "Amis de la Terre", tout cela renvoie à d'autres principes identitaires.» (3) 

Beau travail... 

Ce renouvellement des mouvements sociaux fonctionnait donc comme un révélateur: celui d'un «après» des rassemblement ouvrier, front populaire et autre syndicat paysan.
Et il entraînait dans son sillage une remise en cause des fondements mêmes des courants d'étude y afférents.
Accusé, dorénavant, l'«objectivisme» qui faisait fonctionner l'expérience vécue les émotions, les motivations des agents mobilisés comme une vaste boîte noire que l'analyste se refusait à ouvrir.
Contesté, aussi, le «stratégisme» qui réduisait le rapport à l'action des individus impliqués à des calculs de rentabilité, voire à des tactiques de bataille. 
«La réflexion sur les nouveaux mouvements sociaux vient réhabiliter (...) le rôle des croyances, du sentiment de l'injustice, de la conviction du bien-fondé de la protestation.» (3)

... mais peut mieux faire !

Une évolution féconde, sans doute.
Mais qui n'allait pas empêcher, par ailleurs, les N.M.S. de faire à leur tour l'objet de critiques
vigoureuses.
Trois travers seraient particulièrement pointés du doigt...
. D'abord, une fascination pour l'objet d'étude et une impatience à théoriser l'immédiat qui déboucheraient parfois sur une célébration complice de la nouveauté.
. Ensuite, une surestimation de l'importance et de la durabilité de certaines formes de mobilisation.
. Enfin, une complexité des rapports noués par les chercheurs avec leur objet.
«Les chercheurs se saisissent des discours des acteurs pour les interpréter, tandis que les acteurs s'emparent eux-mêmes des travaux savants à des fins de compréhension et/ou de légitimation. 
La circularité des discours qui en résultent peut être ambiguë.» (4)(5)

 
(A suivre) 

Christophe Engels 

(1) Cfr., sur ce blog, le message «Actu. Trois ans plus tard».
(2) Bensayag M. et Sztulwarck D., Du contre-pouvoir, La Découverte et Syros, 2002.
(3) Neveu Erik, Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, Paris, 2011, p.62.
(4) Neveu Erik, idem, pp.66-67.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents.