lundi 16 décembre 2013

Courants de pensée et modes de vie émergents (1). Les réfugiés du futur













Ils sont les réfugiés du futur.
Ceux qui, ayant obtenu asile dans le présent, 
ne s'y sentent que partiellement chez eux. 
Car leurs pensées vont à l'avenir. 
Ou plutôt à ce qui, dans leur esprit, en tient lieu: 
une société émergente...
Optent-ils pour une certaine prise de recul 
par rapport à l'individualisme?
Choisissent-ils de porter un regard plus distant 
sur le matérialisme?
Sans doute.
Mais pour le reste...? 
Comment ne pas se perdre dans le foisonnement 
de ces porteurs de projets citoyens? 
Comment jeter sur eux un regard qui, 
sans prétendre à l'exactitude scientifique,
puisse néanmoins se prévaloir d'une authentique rigueur?
Et comment s'y retrouver dans la diversité 
des nouvelles modalités de l'engagement «politique»?
Projet relationnel relève le défi. 
Après s'être plongé pendant près de quatre ans 
dans le grand bain de ces créa... cteurs de changement
il se décide à faire le point.
Toujours sans cynisme.
Toujours sans naïveté.
Et toujours sans le moindre soutien financier. 
Alors, prêt pour le grand vol?
Veuillez, dans ce cas, attacher votre ceinture.
Et surtout, 
vous installer 
confortablement. 
Car notre périple 
durera plusieurs mois. 
Voyage au pays 
des courants de pensée 
et modes de vie émergents...














«Avance. 
Avance. 
Sois la promesse d'un futur plus juste. 
Et que nos pas,
hier hésitants,
accompagnent aujourd'hui un destin.»
La marche 
(le film de Nabel Ben Yadir)


Les acteurs des courants de pensée et modes de vie émergents
Ils sont, en un sens, des réfugiés du futur.
Qui, d'une certaine manière, demandent asile au présent.
Reste à dresser le profil de ces «migrants de l'Histoire»...

Vous avez dit «mouvement social»?  

Doit-on, pour commencer, faire de ces porteurs de projet les pièces du grand puzzle d'un  «mouvement social»?
Oui... et non!
Car la définition de ce concept ne fait l’objet d’aucun consensus dans la littérature.
Rappelons que, pour nous, l'expression renvoie à des formes d'action collective qui, concertées et mises au service d'une cause, rencontrent deux critères...
. D'abord, elles s'appuient sur un projet explicite de mobilisation.
. Ensuite, elles se développent dans une logique de revendication. (1) 
«Les mouvements sociaux sont "par définition" intéressés à promouvoir un changement ou à y résister, précise le sociologue Olivier Fillieule des Universités de Lausanne et de Paris I.  
En revanche, il n’existe pas d’accord sur le type et l’étendue des changements concernés.» (2)  

Grand angle: à chacun ses macro-enjeux 

A l'échelle macro, il peut donc s'agir de convoquer le changement ou, au contraire, d'y faire obstacle. 
De faire la révolution ou de s'en tenir à des enjeux très limités.
De viser à l'universel ou de rencontrer des problématiques très  localisées. 
De porter des revendications assez désintéressées ou de se focaliser sur l'acronyme NIMBY (Never In My Back Yard) (3).  
De faire appel ou non à une quelconque autorité politique.
De recourir à l'une ou l'autre forme protestataire (manifestation, réunion publique, happening, campagne de presse, lobbying, assemblées générales, programmes, slogans, symboles...).  
De se confronter de plus ou moins près à la question de l'organisation (statuts écrits, fichier des adhérents, nombre d'échelons hiérarchiques...). (1)   

Gros-plan: à chacun ses micro-objectifs 

A l'échelon micro, il convient plutôt, selon Fillieule, d'insister sur la nécessité de «tenir compte de l’hétérogénéité d’acteurs qui, pour être réunis autour d’un projet commun, ne le sont pas forcément de manière continue ni avec les mêmes objectifs (4).»
Une hétérogénéité à laquelle, cependant, les analystes se référeraient trop rarement...  
«Ceux-ci continuent le plus souvent à préférer la facilité des dénominations   englobantes et, de ce point de vue, l’exemple des travaux sur les mobilisations altermondialistes –tantôt qualifiées de mouvement altermondialiste voire de mouvement pour une justice globale– est édifiant (5), avec la conséquence du risque, souvent constaté, de faire servir des concepts et des modes d’analyse conçus par la théorie des organisations, à des structures lâches en réseaux comportant à la fois des groupes et des individus non "encartés".»  (6) 
«Trop souvent, on parle de stratégie des mouvements, des tactiques, du leadership, des membres, du recrutement, de division du travail, de réussite ou d’échec, confirme cette sociologue de l'Université du Wisconsin qu'est l'Américaine Pamela Oliver. 
Autant de termes qui ne s’appliquent au sens strict qu’à des entités cohérentes de prise de décision (c’est-à-dire des organisations ou des groupes) et pas à des foules, à des collectivités, ou à des mouvements sociaux entiers.» (7)(8) 

(A suivre)

Christophe Engels 


(1) Cfr., sur ce blog, le message «Actu. Trois ans plus tard».
(2) Fillieule Olivier, De l’objet de la définition à la définition de l’objet. De quoi traite finalement la sociologie des mouvements sociaux?,  Politique et Sociétés, vol.28, n°1, 2009, http://id.erudit.org/iderudit/001723ar (DOI: 10.7202/001723ar),  p.21.
(3) Jamais dans mon jardin. 
(4) Au même titre, il est ici notable de souligner que la notion forgée en 1973 par Russel L. Curtis et Louis Zurcher de champ multiorganisationnel, dont le sens est  proche  de  la  définition  de  Diani  tout  en  offrant  d’articuler  le  niveau meso des organisations au niveau micro- des individus affiliés, n’a pas connu un grand  succès dans la littérature jusqu’à récemment, notamment en raison du développement des analyses de réseaux. (Voir Russel L. Curtis, Jr et Louis A. Zurcher, Jr, Stable Resources of Protest Movements: The Multi-Organisational Field, Social Forces, vol. 52, no   1, septembre 1973, , p. 53-61 et, par exemple, l’utilisation que nous   en   faisons   dans   Olivier   Fillieule,   Philippe   Blanchard,   Eric Agrikoliansky, Marco Bandler, Florence Passy et Isabelle Sommier, L’altermondialisme en réseaux. Trajectoires militantes, multipositionnalité et formes de l’engagement: les participants du contre-sommet du G8 d’Evian, Politix, no  67, 2005, pp.13-48.)
(5) Pour une discussion de cet exemple, voir Isabelle Sommier Olivier Fillieule et Eric Agrikoliansky, 2008, Les altermondialismes entre national et global, dans La généalogie des mouvements   altermondialistes   en   Europe.   Une   perspective comparée, sous la dir. d’Isabelle Sommier, Olivier Fillieule et Eric Agrikoliansky, Paris, Karthala.
(6) Olivier Fillieule conseille par ailleurs de relever ici les apports des discussions récentes autour des notions de «secteur», de «champ», d’«espace» ou encore, à partir de la sociologie de la construction des problèmes publics, «d’arène» des mouvements sociaux. (Voir notamment Érik Neveu, 2000, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte; Cécile Péchu, 2001, Les générations militantes à Droit au logement, Revue française de science politique, vol. 51, nos 1-2, p. 73-103; Lilian Mathieu, 2002, Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l’analyse des mouvements sociaux, Revue française de sociologie, vol. 52, no   1, p. 75-100; et Olivier Fillieule et Danielle Tartakowsky, 2008, La manifestation, Paris, Presses de Sciences Po, introduction et chap. 5.) (p.26). 
(7) Pamela   Oliver,   Bringing   the   Crowd   Back, in The   Nonorganizational Elements of Social Movements, Research in Social Movements, Conflicts, and Change, vol. 14, 1984, p.4.
(8) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): la suite d'une série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de voie émergents.