lundi 25 août 2014

Courants de pensée et modes de vie émergents (50) Le changement, est-ce maintenant?...




















Le changement, est-ce maintenant?
Une question existentielle.
A laquelle la société civile
semble ne plus 
attendre aucune réponse 
de la part de la classe politique.
D'où son ambition de remédier
par elle-même aux manquements 
de ses représentants.
Objectif démesuré?
Seul l'avenir le dira.
Reste que, désormais,  
Ni de céder au chant des sirènes
de combats velléitaires 
et/ou perdus d'avance. 
L'avenir passera 
par des outils 
et des modèles de rechange 
qui soient à la fois convaincants,
performants et susceptibles 
de susciter la convergence.
Un objectif qui ne fera pas l'économie 
d'un double travail de réflexion.
Sur la société, bien sûr.
Mais aussi sur soi-même...


 
«Je pense que la société civile est un vaste champ d'expérimentations d'intérêt général, là où le politique s'obstine à maintenir à tout prix l'ancien modèle.» (1) 
Le «paysan-philosophe» d'origine algérienne Pierre Rabhi ne tourne pas autour du pot.
Et pèche peut-être par un double excès...
. Excès d'optimisme à l'égard des uns.
. Excès de pessimisme envers les autres.
N'empêche: ces propos interpellent.
Notamment parce qu'ils intègrent l'idée, trop souvent sous-estimée, que le changement germe à l'intérieur même de bon nombre d'entre nous, simples citoyens.
«Partout, des femmes et des hommes se lèvent, mettent sur pied des initiatives, modifient leurs habitudes, viennent en aide aux autres, se questionnent, se mobilisent, et, ainsi, transforment la société, constatent la politologue belge Caroline Lesire et son compatriote psychologue Ilios Kotsou. 
Alors, bien sûr, nous manquons parfois d'outils, de modèles et même d'espoir, mais en prenant confiance et conscience, nous pouvons espérer atteindre la masse critique qui fera basculer la société vers un autre équilibre.» (2)
Reste qu'il ne suffit ni de s'indigner ni de se laisser tenter par les sirènes d'un combat velléitaire.
D'où la nécessité, avant d'agir, de s'interroger.
Qui plus est en profondeur.
Car le changement authentique ne va pas sans un double questionnement radical.
. Sur soi-même d'une part.
. Sur la société d'autre part.

S'interroger sur soi-même

«Il se passe des choses intéressantes dans la tête des gens qui protestent» (3), écrit le sociologue américain James Jasper.
Relayé par son confrère français Erik Neveu.
«L'heure est à un relatif consensus sur l'importance de procéder à ce que Bourdieu tenait pour une opération clé du travail sociologique: réintroduire dans son objet les dimensions subjectives qui avaient dû être écartées dans le moment de l'objectivation.» (4)
Et le professeur de sciences politiques de Sciences Po Rennes d'ajouter...
«Participer à une action collective ne se réduit ni à la revendication intéressée ni à une vision d'une société juste.
C'est aussi s'interroger sur sa propre vie, faire jouer l'engagement comme travail sur soi-même ou style de vie, se confronter à des enjeux moraux, exprimer une créativité inexploitée.» (5)
Le psychiatre hexagonal Christophe André est bien d'accord.
Mais il va plus loin.
Pour lui, il est fondamental de s'occuper de soi-même...
«Non par nombrilisme ou par égoïsme, précise-t-il
Mais pour protéger et restaurer ce qui fait notre humanité: notre intériorité.» (6)
Or, cette intériorité est menacée par une certaine modernité.
Celle qui, loin de libérer des contraintes du passé, tend à enfermer dans l'une ou l'autre forme d'«aliénation».
«L'aliénation tire ses racines du latin "alienus", qui signifie "autre", "étranger", rappellent Rabhi, Lesire et Kotsou, rejoints par le moine bouddhiste français Matthieu Ricard.
Elle désigne ce processus de dépossession de l'individu et la perte de maîtrise de ses forces propres (par le conditionnement social, la publicité, la désinformation).
Influencés par ce contre quoi nous luttons, nous devenons déterminés par l'objet de cette lutte.
Dès lors, nous risquons de nous comporter de manière injuste contre l'injustice, violente au nom de la paix, barbare au nom des droits de l'homme.» (7)

S'interroger sur la société

Si nous sommes «aliénés», a qui la faute?
A... bibi (!), sans aucun doute. 
Mais pas seulement... 
«Le système dans lequel nous vivons nous a menés très loin dans l'aliénation, reprennent les membres de notre quatuor. 
Nous vivons comme si nous étions séparés les uns des autres et séparés de la nature.
En entretenant des systèmes économiques et sociaux individualistes et injustes, nous mettons en péril la société dont nous faisons partie.» (8)
Sus, donc, aux excès de l'individualisme égoïste et égocentriste.
Mais aussi haro sur une autre outrance: celle d'un certain matérialisme.
«Plus une société ou un individu sont matérialistes, plus ils s'éloignent du bonheur, reprend André.
Attention, en psychologie, le mot "matérialisme" n'a pas le même sens que chez les philosophes: il s'agit d'une démarche qui nous conduit à privilégier des valeurs matérielles comme l'argent, le statut social ou la possession, au détriment d'engagements plus immatériels, comme le partage, la spiritualité, l'équilibre intérieur, etc.
Il existe une multitude de travaux scientifiques qui montrent que le matérialisme entraîne de la souffrance, contrairement à ce qu'essaie de nous faire croire une société qui nous incite à consommer pour être heureux.
Car si les publicités sont efficaces, c'est parce qu'elles nous vendent des promesses de mieux-être, et non des canapés, des voitures ou des vêtements.
Or, nous savons désormais avec certitude que ces achats n'entraînent une amélioration du bien-être que transitoire, du fait de l'habituation hédonique.
Qu'est-ce que l'habituation hédonique?
C'est cette capacité que nous avons à oublier de nous réjouir d'une source de bonheur si elle est là tous les jours.» (9)
Ainsi, pour le médecin-psychiatre de l'Hôpital Sainte-Anne, à Paris, notre monde serait«pollué», et même «contaminé», par les valeurs matérialistes.
Un phénomène qui serait à hisser au rang de difficulté majeure de notre temps... 
«C'est un vrai problème parce qu'une culture, une civilisation ne se réduisent pas aux objets qu'elles produisent, elles existent aussi à travers les valeurs qu'elles promeuvent et qui sous-tendent le fonctionnement de la société. 
Or, ces valeurs sont de plus en plus contaminées ou remplacées par des notions extrêmement matérialistes comme le statut social, l'argent, l'apparence, la dominance, la performance, la valeur économique des personnes, le coût social, etc(10)
Circonstance aggravante: l'aliénation en question se serait insinuée au plus profond de nous-mêmes. 
Et n'en rendrait donc que d'autant plus ardu l’accès à une pensée authentique...
«Il ne suffit pas de croire que nous avons notre autonomie et notre liberté vis-à-vis de ces dérives, nous devons bien comprendre qu'elles imprègnent notre esprit aussi sûrement que la pollution de l'air, de l'eau ou des aliments pénètre dans notre corps.» (11)(12)

(A suivre)

Christophe Engels

(1) Rabhi Pierre, Ensemble, faire germer le changement, in Se changer, changer le monde, L'iconoclaste, Paris, 2014, p.162.
(2) Kotsou Ilios et Lesire Caroline, Se changer, changer le monde (Introduction), L'iconoclaste, Paris, 2014, p.8.
(3) Jasper Karl, The Art of Moral Protest: Culture, Biography and Creativity in Social Movements, Chicago University Press, Chicago, 1997.
(4) Neveu Erik, Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, coll. Repères, Paris, 1996-2011, p.107.
(5) Neveu Erik, idem, p.103.
(6) André Christophe, Se libérer d'une société aliénante, in Se changer, changer le monde, L'iconoclaste, Paris, 2014, pp.41-42.
(7) Kotsou Ilios et Lesire Caroline, Rabhi Pierre et Ricard Matthieu, Répondre au mal-être contemporain, in Se changer, changer le monde, L'iconoclaste, Paris, 2014, p.19.
(8) Kotsou Ilios et Lesire Caroline, Rabhi Pierre et Ricard Matthieu, idem, p.28.
(9) André Christophe, Se libérer d'une société aliénante, in Se changer, changer le monde, L'iconoclaste, Paris, 2014, pp.44-45.
(10) André Christophe, idem, p.46.
(11) André Christophe, idem, p.47.
(12) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):  
. la fin de notre série de messages consacrés à une réflexion approfondie sur les courants de pensée et modes de vie émergents,  
. des analyses sur la social-démocratie, l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés) et l'immigration.