samedi 27 mars 2010

Altermondialisme. «Non, non et non !»


Un autre monde n’est-il pas impossible? Telle est la question que les altermondialistes… refusent de se poser! Car pour eux, la réponse va de soi. C'est «Non!». «Bien sûr que non!». «Incontestablement non!». Reste à s’entendre sur les moyens de transformer cette indignation en programme d’action…


Je suis bigarré.
Je grouille de partout.
Et je parle dans toutes les langues.
Qui suis-je?
Un "Forum Social"!
Ainsi va ce haut lieu de l'altermondialisme.
Ainsi va ce mouvement social lui-même, porté par une multitude d’acteurs très divers qui entendent opposer un ensemble de valeurs sociales et environnementales aux
«logiques économiques de la mondialisation néolibérale».
Ainsi va celui qui, initialement qualifié d’ «anti-mondialiste», a transformé son nom à partir de 1999 afin de prendre en compte l’inclination d'une partie substantielle de ses militants en faveur d’une mondialisation revue et corrigée dans le sens d’un encadrement politique. (1)

Mouvement des mouvements

Connu dans les pays du Sud depuis fort longtemps, l’altermondialisme est apparu en Occident il y a une quinzaine d’années.
Celui que l’on appelle parfois le «mouvement des mouvements» rassemble donc indistinctement, aujourd’hui, des composantes venues du Sud et du Nord de la planète.
Il s’est notamment développé, donc, au travers de ces lieux d'échanges que sont les Forums Sociaux, organisés aux niveaux local, continental ou mondial (avec, dans ce dernier cas, médiatisation toute particulière à la clé).
L’altermondialisme «affûte sa capacité de contestation et d’analyse, depuis qu’à Seattle puis à Porto Alegre se sont exprimés militants et chercheurs, responsables syndicaux et représentants religieux, explique Thierry Verhelst (2). Le Forum Social Mondial (FSM) se tient au moment où se réunissent à Davos les dirigeants mondiaux. Des dizaines de milliers de participants y accourent pour célébrer leur espérance qu’ «un autre monde est possible». Ils y sont aussi pour dénoncer, réfléchir, pour comparer des expériences concrètes et pour formuler des perspectives nouvelles.» (3)
C’est que la mouvance altermondialiste n'a pas d'organisation en elle-même. Elle constitue un réseau au fonctionnement «horizontal» qui réunit une multitude de personnes et de groupements d'horizons très divers:
. communistes et marxistes (qui rejettent le capitalisme),
. antilibéraux (qui s’opposent au libre-échange),
. souverainistes ou nationalistes (qui prônent un protectionnisme d'intérêt national ou régional),
. localistes (qui veulent privilégier ce qui est local),
. écologistes (qui pourfendent le laxisme environnemental de la société industrielle),
. objecteurs de croissance (qui stigmatisent le développement de la consommation comme modèle social),
. ou même extrémistes de droite.
Pour faire le tri, Thierry Verhelst (3) propose une grille d’analyse en trois colonnes…
. Celle d’une tendance socialiste (dont les antilibéraux issus du marxisme et du tiers-mondisme) qui affirme la nécessité d’accroître la productivité afin de partager plus équitablement les revenus de l’activité économique.
. Celle d’une approche visant l’émergence d’une nouvelle culture économique (Kenneth Boulding, Serge Latouche…), qui va plus loin que la précédente en se prononçant en faveur de la «décroissance» (4), considérée comme un impératif à la fois pratique et éthique, seul susceptible de mettre fin à l’obsession productiviste: il faut rompre avec la religion du «toujours plus».
. Celle d’un «solde» reprenant notamment tous ceux qui indiquent qu’il y a lieu d’«internaliser» les coûts des dommages causés par les entreprises (pollution, transport,... «et pourquoi pas du chômage ?» (3)) alors que ceux-ci sont aujourd’hui rejetés sur la collectivité. Un exemple ? Ricardo Petrella, qui veut soustraire à la marchandisation ces «biens communs vitaux de l’humanité» que sont l’eau, la terre ou la biodiversité.

«Un autre monde est possible»

Assez hétérogène, le «mouvement des mouvements» oscille entre volonté de réformisme et «imaginaire de la rupture».
La plupart des tendances s'accordent cependant sur deux plus petits dénominateurs communs…
. Celui d’un slogan tout d’abord : «Un autre monde est possible», récemment devenu «D'autres mondes sont possibles».
. Celui de revendications modérées, ensuite, qui portent sur la régulation du libre-échange par des impératifs sociaux et environnementaux.
Plus précisément, ces revendications communes renvoient à :
. «une contestation de l'organisation interne, du statut et des politiques des institutions mondiales telles que l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le G8 et la Banque mondiale;
. des revendications de démocratie selon les différentes orientations politiques;
. la justice économique;
. l'autonomie des peuples;
. la protection de l'environnement;
. les droits humains fondamentaux;
. une recherche d'alternatives, globales et systémiques, à l'ordre international de la finance et du commerce.
» (5)

Un peu de tout…

Une liste de propositions a été synthétisée dans le manifeste de Porto Alegre, qui distingue les requêtes liées
. à des réformes économiques (6),
. à la justice et à la paix (7),
. au développement de la démocratie (8).
Un «programme» dont l’hétérogénéité contribue sans doute à expliquer qu’au-delà de sa critique du système actuel, le mouvement altermondialiste ait été mis en cause pour sa capacité très limitée à proposer des solutions alternatives.
«Ce n’est pas être insultant que de souligner la grande faiblesse théorique de la mouvance altermondialiste, « flingue », mine de rien, le philosophe français Pascal Bruckner. Elle peine à dépasser le stade de la simple invective au moment où le système a plus besoin que jamais pour se régénérer d’un adversaire à sa mesure.» (9)
Thierry Verhelst, lui, est nettement moins sévère…
«Cela n’est pas assez concret, cela reste incantatoire, dit-on. Sans doute. Mais qui donc possède les bonnes réponses. Nous sommes à une époque charnière où l’humanité se cherche un autre avenir. Il n’est pas raisonnable en ces circonstances d’exiger des programmes parfaitement ficelés.» (3)

Christophe Engels


(1) Une telle régulation est présentée comme indispensable sous peine d’élargissement sans fin du fossé des inégalités dans le monde: inégalité entre les plus riches et les plus pauvres d’une part, inégalité entre pays du Nord et pays du Sud d’autre part.
(2) Docteur en droit, Thierry Verhelst est anthropologue juridique, consultant, enseignant dans plusieurs universités, responsable d’ONG et prêtre orthodoxe.
(3) Verhelst Thierry, Des racines pour l’avenir. Cultures et spiritualités dans un monde en feu, L’Harmattan, Paris, 2008.
(4) On y reviendra dans un prochain commentaire.
(5) D’après Wikipedia.
(6) . Annulation de la dette publique des pays du Sud,
. promotion du commerce équitable,
. reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels énoncés à la conférence de Vienne de 1993 (droit à la souveraineté et à la sécurité alimentaire, à l'emploi, à la protection sociale et à la retraite),
. mise sur pied d’un bilan exhaustif et indépendant des conséquences des décisions de l'OMC, du FMI et de la Banque mondiale,
. instauration de taxes internationales sur les transactions financières,
. démantellement des paradis fiscaux,
. interdiction de toute forme de brevetage du vivant et de privatisation de biens communs de l'humanité, comme l'eau...
(7) . Mise en place d’un système international de prévention et règlement des conflits,
. application de la Charte des Droits de l'Homme contre toute forme de discrimination, de sexisme et de racisme,
. condamnation systématique des différents pays qui ne la respectent pas.
(8) . Garantie du droit à l'information par des législations mettant fin à la concentration des médias et garantissant l'autonomie des journalistes par rapport aux actionnaires,
. rénovation et démocratisation en profondeur des organisations internationales régies par le consensus de Washington (FMI, Banque mondiale, OMC),
. respect en leur sein des droits humains, économiques, sociaux et culturels dans le prolongement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,
. incorporation de ces organisations dans le système et les mécanismes de décision des Nations unies.
(9) www.cybersopie.com

1 commentaire:

  1. Très intéressante analyse qui met en lumière la disparité des différentes tendances qui se côtoient au sein de la mouvance altermondialiste.



    La grille d’analyse en trois colonnes fait apparaître l’opposition qui existe entre les deux principaux courants: la « tendance socialiste » colonne 1 et la tendance que j’appellerai « humaniste » colonne 2. Les deux veulent un changement mais pas de même nature, ni de même niveau.



    La tendance socialiste est celle qui a les faveurs des médias et l’oreille de la classe politique. Elle ne remet pas en cause la course à la croissance, elle veut l’aménager au travers de concepts tels que le développement (économique) durable et la croissance verte (capitalisme vert).

    Elle reste productiviste et matérialiste. Au nom de la croissance, elle s’oppose fatalement au point de vue des objecteurs de croissance qui, eux, appartiennent plutôt à la tendance humaniste.



    La tendance humaniste s’attaque à la consommation et au matraquage publicitaire et médiatique qui la soutient. Elle considère que les dérèglements économiques, sociaux et environnementaux, sont causés par les modes de vie et de consommation que nous impose le productivisme. Cette tendance n’a guère la faveur des médias (la pub est leur vache à lait) et la classe politique la rejette au nom du dogme de la croissance et de l’emploi.



    Vous citez Pascal Bruckner : «Ce n’est pas être insultant que de souligner la grande faiblesse théorique de la mouvance altermondialiste ». Peut-être cette pauvreté apparente n’est elle due qu’au fait que la tendance socialiste n’apporte rien de vraiment neuf et que les médias ne donne guère à la tendance humaniste les possibilités de se faire connaître.



    Robert HENDRICK 30.3.2010

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