mardi 29 octobre 2013

Lampedusa. Moi, trafiquant de la mort...




















 






Les passeurs
qui font traverser 
la Méditerranée
à des immigrés 
sur des embarcations de fortune?
Le tout petit maillon 
d'une chaîne vertigineuse:
celle d'un vaste et lucratif 
trafic d'êtres humains. 
Extrait de la remarquable enquête 
du journaliste et écrivain italien 
Fabrizio Gatti (1)


 Fabrizio Gatti («L'Espresso»)
 
«Lampedusa.
Un bateau surchargé.
Celui du drame 
Quand, la nuit du jeudi 3 octobre, les premières lumières italiennes apparaissent, se trouvent à bord...
. le passeur (rescapé), 
. son jeune second tunisien (mort), 
. sept Ethiopiens (morts), 
. deux Soudanais (un rescapé, l'autre mort),
. 507 Érythréens (153 rescapés, 354 morts). 
La majorité de ces derniers sont de jeunes gens.
Le solde est composé de seize enfants de trois à six ans (morts), d'une dizaine de futures mamans (décédées) et d'une centaine de femmes (dont, en tout et pour tout, quatre rescapées). 
Cinq cents dix-huit passagers, 363 noyés, 155 survivants.
Soit la plus grande tragédie de Lampedusa.
Pas la plus grave, cependant, le long des frontières de la Méditerranée.»

Un trafic... sang pour sang juteux 



«Grâce aux passagers de cet unique chalutier, les trafiquants ont encaissé plus d'un demi-million d'euros en Libye. 
Le tout en une seule nuit et en une seule expédition. 
Les comptes sont vite faits. 
Dans leurs entretiens avec Alganesh Fessaha, dont l’association Gandhi vient en aide à la diaspora érythréenne depuis des années, les rescapés confirment avoir payé 1.600 dollars U.S. par personne. 
Le prix de la liberté pour les uns. 
Une recette de 825.000 dollars pour les autres. 
Le rafiot?
Il ne doit pas avoir coûté plus de 20.000 dollars sur le marché de l'occasion.
A moins qu'il n'ait été volé.
Coût total: trente cinq mille dollars au maximum, avec les réserves de diesel, le transport par camion des passagers, quelques pots-de-vin ici et là ainsi que la rémunération du passeur Ben Salem et de son jeune second. 
Comptez que ce massacre aura permis aux trafiquants de se mettre dans la poche la bagatelle de 790.000 dollars nets (frais compris donc). 
Soit pas loin de 600.000 euros. (...) 
Le reste? 
Le moteur éteint? 
La couverture enflammée pour signaler la position? 
Le carburant qui prend feu? 
La panique? 
Le chavirement? 
Autant d'éléments à verser au dossier d'une énième démonstration.
Celle de la folie d'un monde qui se soucie des réfugiés comme d'une guigne.
» (2)

Fabrizio Gatti («L'Espresso»)

(1) Réputé en Italie pour ses enquêtes sur les immigrés africains qui cherchent à rallier Europe, l'écrivain et journaliste Fabrizio Gatti (47 ans) ne se contente pas d'écrire pour le «Corriere della Sera» et «L'Espresso». Il cumule également les distinctions honorifiques. Pour ses enquêtes sur les immigrés clandestins de Lampedusa et sur les esclaves agricoles dans les Pouilles (2005) par exemple. Ou alors pour son récit «Bilal sur la route des clandestins» (éditions Liana Levi, 2008)... Son livre le plus célèbre («Viki che voleva andare a scuola», Liana, 2003) raconte l'histoire vraie d'un petit garçon albanais, immigré dans la botte transalpine. 
(2) Traduction d'un extrait de Gatti Fabrizio, Testimonianza. "Io, scafista della morte", L'Espresso, 16 octobre 2013. A noter qu'une traduction de l'article complet est proposée par l'hebdomadaire «Courrier international».