jeudi 2 octobre 2014

Immigration. L'écriture ou la vie




























Retrouver de la cohérence.
Recréer du sens.
Et se reconstruire.
Le tout au bon moment.
Et de façon à être entendu.
Tel est le quintuple défi du réfugié.




Pour l'autobiographe, écrire le récit de sa vie, c'est bien souvent apprendre à accéder à une meilleure compréhension de soi.
Une quête qui, pour le rescapé, se fait impérative.
Car pour lui, il n'est plus question de mieux se connaître, mais de se retrouver.
Plus question de mieux vivre, mais de revivre.
Plus question de choix, mais de nécessité.
«Parler, écrire, est, pour le déporté qui revient, un besoin aussi immédiat et aussi fort que son besoin de calcium, de sucre, de soleil, de viande, de sommeil, de silence, estime le romancier français Georges Perec (1).
Il n'est pas vrai qu'il peut se taire et oublier.
Il faut d'abord qu'il se souvienne.
Il faut qu'il explique, qu'il raconte, qu'il domine ce monde dont il fut la victime.» (2)
Mais la motivation se résume-t-elle au fait de narrer sa vie jour après jour?
Non.
Il s'agit de retrouver de la cohérence.
De recréer du sens.
De se reconstruire.
Le tout en racontant au moment et de la façon qui conviennent.
Histoire d'être entendu.

Le bon moment

Dès octobre 1945, Primo Levi (3) avait commencé à écrire son premier livre «Si c'est un homme».
Il l'avait fait à la hâte.
Avec fièvre.
Et dans une sorte d'allégresse...
«Les choses que j'avais vécues, souffertes, me brûlaient de l'intérieur, écrivit-il plus tard.
Je me sentais plus proches des morts que des vivants, je me sentais coupable d'être un homme, parce que les hommes avaient construit Auschwitz et qu'Auchwitz avait englouti des millions d'êtres humains, nombre d'amis personnels et une femme qui était près de mon coeur.
Il me semblait que je me purifierais en racontant. (...)
En écrivant, je retrouvais des bribes de paix et je redevenais un homme, un parmi les autres, ni martyr ni infâme ni saint, l'un de ces hommes qui fondent une famille et qui regardent vers l'avenir autant que vers le passé.»  (4)
C'est en s'astreignant aux joies sévères de l'écriture, grâce à elle donc, que Primo Levi se sentit revenir à la vie.
Qui plus est, il donna naissance à un chef d'oeuvre de retenue, de lucidité et de compassion.
Un livre incomparable... qui ne trouva cependant pas preneur!
Refusé par toutes les bonnes maisons, il fut finalement publié par un petit éditeur.
Et passa totalement inaperçu.
«Ainsi semblait s'accomplir un rêve qu'il rapporte, un cauchemar de déporté, explique l'écrivain espagnol Jorge Semprun (5).
On est rentré à la maison, on raconte avec passion et force détails dans le cercle familial l'expérience vécue, les souffrances passées.
Mais personne ne vous croit.
Vos récits finissent par créer une sorte de gêne, provoquant un silence qui s'épaissit.» (6)
Il faudrait patienter de longues années avant que l'ouvrage ne rencontre la consécration d'un large public et d'une multitude de traductions, partout dans le monde. 

Unhappy end

Happy end?
Pas vraiment.
Car l'histoire s'achèverait finalement sur un funeste rebondissement.
Le 11 avril 1987, Primo Levi choisirait de se donner la mort.
«Une ultime fois, sans recours ni remède, l'angoisse s'était imposée, tout simplement.
Sans esquive ni espoir possibles.
(...)
Rien n'était vrai en dehors du camp, tout simplement.
Le reste n'aura été que brève vacance, illusion des sens, songe incertain: voilà.» (7)(8)

(A suivre)

Christophe Engels


(1) 1936-1982. 
(2) Perec Georges, Une aventure des années soixante, Seuil, Paris. 
(3) Ingénieur chimiste juif et italien, Primo Levi (1919-1987) est déporté en février 1944 à Auschwitz. Il sera libéré par l'Armée rouge le 27 janvier 1945. Et livrera son premier témoignage dans «Si c'est un homme», publié dès 1947. 
(4) Cité in Semprun Jorge, L'écriture ou la vie, Gallimard, coll. Folioplus classiques, Paris, 1994-2012, pp.286-287. 
(5) Jorge Semprun (1923-2011) a été arrêté en 1943 par la Gestapo et envoyé au camp de concentration de Buchenwald. Libéré par les troupes de Patton en 1945, il s'est consacré à la résistance au régime de Franco, à la militance communiste, puis à l'écriture. Et il deviendra ministre espagnol de la culture1. Il sera élu à l'académie Goncourt en 1996. 
(6) Semprun Jorge, L'écriture ou la vie, Gallimard, coll. Folioplus classiques, Paris, 1994-2012, pp.286-287. 
(7) Semprun Jorge, idem, pp.286-287. 
(8) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): 
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration,
 . des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés).


2 commentaires:

  1. Il n'y a pas une université du PAS de COTE mais des Universités du PAS de COTE et nous vous invitons à en créer une sur votre bassin de vie.
    Ces universités doivent être des lieux de rencontres et de débats entre "gens de peu" que nous sommes , ceci en dehors de toutes les querelles politiciennes ou revendicatives pour chercher comment "bien vivre ensemble "
    universite_du_pas_de_cote@orange.fr

    Nous pouvons vous annoncer dés aujourd'hui les premières rencontres du 'Pas de Coté" du 17 AU 25 Mai 2015
    Cela se passe donc à Saint Georges de Montclard en Dordogne, sur le terain privé au bord de la D21E , appelé : Espace Lambert (1,5 Ha), l'espace dispose de sanitaires, électricité, de l'ombre , parking, un cabanon qui sert de buvette, etc etc.
    Notre village a 280 habitants.
    Notre asso : le Collectif Artistique de Saint Georges de Montclard ^dispose librement de la salle polyvalente située à 50 m de l'Espace Lambert. , une autre espace ici : la Halle dans le centre du Bourg à 180 mètres.
    universite_du_pas_de_cote@orange.fr

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  2. Belgique

    A la tribune des Grandes Conférences Catholiques

    le lundi 20 octobre 2014

    Benoît Lengelé

    de l’Académie Royale de Belgique,
    Professeur ordinaire à l’Université catholique de Louvain,

    Chirurgien de Sa Majesté le Roi Albert II



    Avec la première greffe de visage humain, dont le professeur Benoît Lengelé fut un des artisans, la « chimère faciale » a quitté en 2005 l’univers des mythes et légendes pour entrer dans la réalité médicale du monde présent. Devenu aujourd’hui un fait de science, le « visage recomposé » nous questionne sur ce qui fait l’identité de la figure humaine. En évoquant les chemins de la première greffe de visage, le professeur Lengelé nous éclairera, à travers son expérience au chevet des malades défigurés, sur la nature de l’image de l’Humain. Benoît Lengelé a choisi comme titre de sa conférence à notre tribune : « Le visage de la chimère : leçons d’un mythe devenu réalité ».





    Renseignements et inscriptions :

    Grandes Conférences Catholiques, avenue Louise 149/21 à 1050 Bruxelles

    Tél. : 0(032)2/543 70 99 (du lundi au vendredi de 9 à 12 heures)

    Télécopie : 0(032)2/543 70 98

    Courriel : gcc@grandesconferences.be

    Internet :www.grandesconferences.be
    Tarifs : Fauteuil 25€ - Balcon 20€ - Etudiant 9€





    La conférence se tient au « Square Brussels Meeting Centre » (ancien Palais des Congrès), rue Mont des Arts à 1000 Bruxelles, le lundi 20 octobre 2014 à 20h30 précises.





    Agenda :

    Le lundi 24 novembre 2014, Jean-Noël Jeanneney, Historien, Ancien ministre, Président honoraire de la Bibliothèque nationale de France.

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